A. De Noailles

Il fera longtemps clair ce soir, les jours allongent, 
La rumeur du jour vif se disperse et s’enfuit, 
Et les arbres, surpris de ne pas voir la nuit, 
Demeurent éveillés dans le soir blanc, et songent…

Les marronniers, sur l’air plein d’or et de lourdeur, 
Répandent leurs parfums et semblent les étendre ; 
On n’ose pas marcher ni remuer l’air tendre 
De peur de déranger le sommeil des odeurs.

De lointains roulements arrivent de la ville… 
La poussière, qu’un peu de brise soulevait, 
Quittant l’arbre mouvant et las qu’elle revêt, 
Redescend doucement sur les chemins tranquilles.

Nous avons tous les jours l’habitude de voir
Cette route si simple et si souvent suivie,
Et pourtant quelque chose est changé dans la vie,
Nous n’aurons plus jamais notre âme de ce soir…

Anna de Noailles, Il fera longtemps clair ce soir, 1901

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