Il y a des soirs où je trépigne, poussé vers un rendez-vous inéluctable. Les sensations sont à peine couvertes par l’amoncellement de points sur la check-list de préparatifs. J’essaye de tout préparer minutieusement. Sur la grande table, je dispose avec une rigueur de géomètre, les objets qui m’aideront à mener mon affaire. Comme quand je disposais mes billes et calots pour la rencontre du lendemain, sur le sable de la cour d’école. Je me rends compte ce soir, que ce geste est en moi depuis bien longtemps. Il est le rituel de mes équipées d’écolier ou d’enfant, et mes vagabondages du Cantal. Ainsi je revois également ma musette, en osier brun foncé où mon père avait déposé les cartons de bas de ligne et d’hameçons. Au fond, à gauche ma boîte ronde, verte armée, qui maintenait en captivité mes appâts. Deux petits bouchons, un quignon de pain, un mouchoir en tissu qui protège un joyau, ce petit couteau offert par mon père.
Avec ce précieux outil, je me sens prêts à affronter les sous bois et la rivière. Cette eau du Cantal qui serpente au creux de vastes prés. D’autant que cet outil dans les mains de mon père réalise des choses incroyables. Ce couteau a réussi à faire naître un arc et des flêches, ainsi qu’un poignard en noisetier. Alors le petit garçon que je suis ne peux que croire que cette petite lame le sortira de bien des mauvais pas. Voici dans quelles conditions je me retrouve lorsque je m’attèle à une entreprise rocambolesque de pêche à la mouche. Un pied dans le passé, je retrouve le plaisir d’un sac léger, pour se contenter du stricte nécessaire. Pour chaque poche du gilet, un objet qui s’adaptera à une situation, voir polyvalent celui-ci me permettra plusieurs actions. J’aime aussi laisser une poche vide, pour un morceau de pain ou un fruit. J’ai le sentiment à ces moments d’être pleinement là, plein de mes souvenirs, pragmatique dans mes choix présent et rêvant d’actions de pêche à venir.
Bien sûr j’équipe ma boite. Je suis attiré de plus en plus vers du minimalisme, réduisant le nombre d’imitations au fur et à mesure que ma technique progresse. Car plus nous arpentons nos berges chéries, mieux nous connaissons ses méandres, les postes de ses salmonidés, et son biotope. Un abandon à la rêverie, et vous retrouvez le calme, cette apaisement des bords de rives. Je commencerais demain proche du saule, au pied d’une savonnière à l’entrée des herbiers. Je suis décidé, la dernière boîte refermée, ma casquette posée sur l’ensemble des bagages, je vais rejoindre Morphée en rêvant éveillé. Mais avant, je tâte ma poche, comme pour me rassurer, le petit couteau est toujours là. Je pourrais partir pêcher demain !